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26/07/2010

En remerciement à Katarina Mazetti

 

 Une page m’a donné à réfléchir, elle est de Katarina Mazetti  dans « Le mec de la tombe d’à côté », Gaïa édition 2009, collection Babel.

 

 « Ensuite il y a eu une sale ambiance toute la soirée. On a commencé à se disputer pendant les informations. Elle, c’est une sorte de gauchiste. Si ce n’est pas la gauche caviar, c’est la gauche pâté végétal, et moi je défends les intérêts des entrepreneurs, parce que je me considère comme une petite entreprise (1). Elle a vite fait de me lancer sur des rails où je défends le gros capitalisme international, et comme elle s’y connaît beaucoup mieux que moi en argumentation, elle me fait dire des choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord moi-même. Je prends la mouche et je ne m’arrête plus, ça sort en vrac, je défends le déboisement et je traîne dans la boue ces blancs-becs de biologistes de terrain, elle se lance dans une plaidoirie contre la destruction de l’environnement et l’épuisement des ressources naturelles et je l’accuse pratiquement de brûler les camions de Scan- les produits des éleveurs suédois. »

 

 Je venais de lire « Qu’est-ce qu’une vie réussie ? » de Luc Ferry. A première vue, le lien entre les deux textes n’est pas facile à faire. Et pourtant si. En dix lignes, Katarina Mazetti pose clairement une question à laquelle personne à ma connaissance aujourd’hui ne sait répondre. Ce pauvre paysan qui se démène comme il peut pour faire perdurer son exploitation, ce travailleur donc, se fait donner des leçons de politique et de morale par une intellectuelle gauchiste et écologiste au discours aguerri. Ce n’est qu’un roman, mais c’est aussi un signe des temps. Il fut une époque où la gauche mettait la main à la pâte, quand elle représentait le monde du travail. Aujourd’hui, elle ne représente plus que des idées, et encore, je suis généreux. 

§ 

   « …elle me fait dire des choses… avec lesquelles je ne suis pas d’accord moi-même. » 

 Voilà un homme qui n’a rien à voir avec le gros capitalisme international, pas plus qu’avec la destruction de l’environnement et l’épuisement des ressources naturelles, et qui dans le flot du discours, en vient à se faire l’avocat du diable! (2) Le pauvre aurait appris l’art de la rhétorique que ça n’aurait rien changé. La vérité est triste à dire, et personne aujourd’hui n’y peut rien : à ceux qui, la bouche en cœur, nous invitent à répéter les erreurs du vingtième siècle, nous n’avons rien d’autre à proposer qu’un aménagement de la pire société qui soit : celle du capitalisme sauvage. Face aux révolutionnaires désormais sans idéal depuis le désastre communiste, aux écologistes incapables de mettre en application à l’échelle d’un pays ou même d’une région ce qu’ils formulent, nous restons interdits, sans arguments, et même parfois il peut nous arriver d’avoir mauvaise conscience. Et les autres, en face, attaquent sur tous les fronts : chômage, salaires, famine dans le tiers-monde, guerres, illettrisme, drogue, prostitution, déchéance, tout est bon pour rendre le capitalisme responsable de tout. Ils ont raison. Partiellement (3). Autant que Jean-jacques Rousseau avait raison d’affirmer la bonté originelle de l’humanité. Si l’homme était si bon, comment a-t-il pu dire un jour : « Ceci est à moi ! » ?

 

 Oui, il peut nous arriver d’avoir mauvaise conscience. Comment peut-on défendre une société qui exploite l’autre moitié du monde, et qui dans l’hémisphère où elle a fait son nid, jette à la rue des millions de familles de travailleurs, n’éduque plus ses enfants, ne propose à ses ressortissants qu’un avenir débordant d’émissions télévisées dégradantes, de jeux de guerre en vidéo, de comptes épargne ouverts à des jeunes qui savent à peine lire et écrire, d’images de stars vautrées sur des magazines qui montrent qu’on peut réussir sans effort et même souvent en profitant de la bêtise humaine, une société qui ne punit plus ses bandits, qui laisse la parole à ceux qui, accédant au pouvoir, cloueraient le bec à tout le monde, une société qui, le cœur sur la main, abrite sa misère derrière une multitude d’associations caritatives, ah la charité, ce bon vieux cache-sexe d’une bourgeoisie corrompue, oui comment peut-on défendre cette société sans se faire l’avocat du diable ?

 

 Alors on se retranche derrière ce qu’on peut, perpétuellement sur la défensive : au moins nous sommes libres, nous vivons en démocratie, nous avons tous les cinq ans notre mot à dire, des syndicats aussi, des associations, une presse qui parfois divulgue des vérités, et nous usons à satiété de contre-exemples : regardez là-bas, ces peuples qui survivent sous la botte, ces enfants qui travaillent en usine, ces femmes maltraitées, ces journalistes emprisonnés, ces conflits meurtriers ! Contentons-nous de ce que nous avons ! Un discours peu convaincant, à force. A quel point on peut regretter ce début de siècle où des intellectuels honnêtes et bourrés d’enthousiasme appelaient à la transformation du monde, un temps bien révolu. Plus rien à proposer ! Sinon la défense des acquis, la sécurité sociale, l’existence du bureau de poste, de l’école ou de l’hôpital de proximité, le refus d’un plan social et des licenciements qui vont avec, l’augmentation de un pour cent du SMIC. On ne fait pas rêver avec ça, même s’il faut le dire et le clamer. C’est moins que le programme minimum des socialistes il y a cent ans !

 

 Nous vivons aujourd’hui dans un monde que Luc ferry dit : sans transcendance. On pourrait dire : sans espérance. Dieu est mort, achevé par Marx et Nietzsche à la fin du XIX°siècle, après une longue maladie contractée au Siècle des Lumières. Dès lors, du Ciel, on ne peut plus rien attendre. Quand aux grandes théories globalisantes qui promettaient monts et merveilles, elles ont sombré corps et âme dans le pire des totalitarismes, et malgré quelques tentatives timides, ne promettent plus grand-chose. Les petits chanteurs à la croix de bois ne chantent plus, les chœurs de l’armée rouge se sont tus. (4) Il n’y a plus rien. Anne ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? Non, rien. Et ce ne sont pas quelques éoliennes, une voiture électrique, ni le tri sélectif des déchets qui pourront nous faire envisager l’avenir avec confiance. On peut craindre ce vide. Vertigineux. Un espace illimité qui pourrait à tout moment être comblé par le pire des bateleurs, un fou qui remettrait de l’ordre dans les rues et dans les esprits, un Envoyé d’un dieu détenteur de vérité, un Comandante, un Conducator, un Ayatollah (aux couleurs de la France…), un Guide.

 

 Ou alors les choses vont rester ce qu’elles sont. Nous nous laisserons encore longtemps bercer de discours. Avec des pensées uniques plein la tête, des idées creuses mais veloutées, qui rassurent. Cette liberté que nous chérissons tant restera celle du choix entre chômage et loisirs. Ou les deux en même temps. Loisir au sens moderne, surtout pas la skholê des anciens qui comprenait l’idée d’étude, quand l’école chez nous devient un espace de jeux. La cabane est pauvre, mais au fond de la pièce des hommes ivres de bière s’agitent devant un écran plat. Un illettré bourré d’argent sale à qui tout sourit au volant d’une BMW. Un fils bac plus huit qui remue ciel et terre pour obtenir un CDD à 1700€ à sept cent kilomètres de sa famille. Oui, les choses peuvent rester ainsi. Les héros sont fatigués. Les justiciers d’antan ont laissé place à des syndicalistes bedonnants. Le curé a perdu ses ouailles, mais comme rien ne se perd, les légions de l’ordre moral cherchent d’autres bergers plus convaincants bien capables de nous inventer un moyen âge mondialisé. La mondialisation a commencé. Le moyen âge pointe son nez. Quel monde va-t-on laisser à nos enfants ? Ici même, au pays de Montesquieu, de l’esprit et des lois, au pays de la république, allons enfants, réveillons-nous ! 

§ 

       (1)    « Benny vit seul à la ferme familiale avec ses vingt-quatre vaches laitières, il s’en sort comme il peut, avec son bon sens paysan et une sacrée dose d’autodérision. »

      (2)  Faire dire à l’adversaire ce qu’il ne pense pas… une version « light » de méthodes que d’honnêtes gens ont subies dans des pays où l’on faisait avouer un crime à quiconque avait commis celui d’exercer sa liberté.

      (3)  J’y reviendrai ; on peut douter de la sincérité de ces esprits très critiques à l’égard de la société capitaliste occidentale… qui tiennent le même langage que ces totalitaires sans esprit qui tiennent sous leur joug les peuples d’Orient. On pourrait chercher longtemps les différences entre le discours d’Ahmedinejad et celui de l’extrême gauche sur des sujets comme le monde occidental, l’impérialisme, la situation déplorable de la femme dans la société capitaliste, l’existence de l’état d’Israël… La gauche extrême a encore quelque progrès à faire, on attend encore les premières candidates en niqab.

       4) D’un claquement de doigt, le pape, le duce, le führer ou le petit père des peuples rassemblaient des millions de personnes dans les rues. Aujourd’hui, il faut une love parade pour en rassembler autant, quand les déclarations antisémites et les crimes du dictateur iranien n’indignent que quelques centaines de personnes au Trocadéro.

08/05/2010

Piqûre de rappel pour marxistes ayant la mémoire courte

 

Candidate présentée voilée aux élections régionales,

silence sur la burqa,

silence sur la prolifération des mosquées,

silence sur les prières dans l'espace public,

silence sur le régime policier des ayatollahs,

silence sur les atteintes aux droits des femmes dans les pays musulmans,

solidarité affichée avec le Hamas et le Hezbollah,

 

bizarrement l'extrême gauche ne s'émeut des atteintes à la laïcité que lorsqu'elles sont le fait de l'église catholique. Tiens donc ! Les religions ne seraient-elles pas toutes des obstacles à l'émancipation de l'humanité ?

 

 Ces révolutionnaires qui -encore récemment- brandissaient le petit livre rouge, les œuvres de Lénine ou de Trotsky, certains même nous donnant des leçons de marxisme, semblent avoir la mémoire courte. C'est d'autant plus inexcusable, que je suis bien certain que traînent encore sur leurs étagères quelques livres du bon vieux Marx qui, sur la question religieuse était on ne peut plus clair. C'est pourquoi l'idée m'est venue de retourner dans mes livres pour m'assurer que je ne rêvais pas, que l'esprit des Lumières avait bien éclairé leurs écrits, qu'ils avaient affronté en philosophes matérialistes qu'ils étaient, la question religieuse.

 

 Malheureusement, je n'ai pu mettre la main sur le livre en question, « Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel », il a probablement trouvé refuge sur une étagère chez un ancien compagnon d'idée, tant mieux pour lui, qu'il en fasse bon usage. Je me suis rabattu sur la version anglaise, la seule dont je dispose, j'ai donc dû traduire, mais n'étant pas un spécialiste de cette langue, je recopie ici d'abord le texte en anglais, extrait de : « Marx § Engels.- Basic writings on Politics and Philosophy, edited by Lewis S.Feuer, New York 1959"

 

 

 "Man makes religion, religion does not make man. In other words, religion is the self-consciousness and self-feeling of man, who either has not yet found himself or has already lost himself again. But man is no abstract being, squatting outside the world. Man is the world of man, the state, society. This state, this society produce religion, a perverted world consciousness, because they are a perverted world. Religion is the general theory of that world, its encyclopaedic compendium, its logic in a popular form, its spiritualistic point d'honneur, its enthusiasm, its moral sanction, its solemn completion, its universal ground for consolation and justification. It is the fantastic realization of the human essence because the human essence has no true reality. The struggle against religion is therefore mediately the fight against the other world, of which religion is the spiritual aroma.

 Religious distress is at the same time the expression of real distress and the protest against real distress. Religion is the sigh of the oppressed creature, the heart of the heartless world, just as it is the spirit of an unspiritual situation. It is the opium of the people.

 The abolition of religion as the illusory happiness of the people is required for their real happiness. The demand to give up the illusions about its condition is the demand to give up a condition which needs illusions. The criticism of religion is therefore in embryo the criticism of the vale of woe, the halo of which is religion."

 

 L'homme fait la religion, la religion ne fait pas l'homme. En d'autres termes, la religion est la conscience de soi et le sentiment que l'homme a de lui-même, quand celui-ci ne s'est pas encore trouvé, ou s'est déjà à nouveau perdu. Mais l'homme n'est pas un être abstrait, hors du monde. L'homme est le monde de l'homme, l'état, la société. Cet état, cette société produisent la religion, conscience d'un monde perverti (1), parce qu'ils sont un monde perverti. La religion est l'idée générale de ce monde, son abrégé encyclopédique, sa logique à destination du peuple, son sommet spirituel, son enthousiasme, sa sanction morale, son achèvement solennel, un espace universel propre à consoler et à justifier. C'est la réalisation fantastique de l'essence humaine précisément parce que l'essence humaine n'existe pas. La lutte contre la religion est par voie de conséquence le combat contre l'autre monde, duquel la religion est l'arôme spirituel.

 La détresse religieuse est à la fois l'expression d'une détresse réelle et la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de l'opprimé, le cœur d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit d'une situation dépourvue de toute spiritualité. Elle est l'opium du peuple.

 L'abolition de la religion comme bonheur illusoire du peuple est nécessaire pour accéder au bonheur réel. L'exigence d'en finir avec les illusions justifiant sa condition, c'est l'exigence de mettre fin à une condition qui a besoin de ces illusions. La critique de la religion est donc au cœur(2)  de la critique de la Vallée des larmes (3), dont la religion est le halo.

 

(fin de citation)

 

  • (1) ou inversé, ou renversé?
  • (2) mot à mot: à l'état embryonnaire;
  • (3) le monde réel, terrestre;

 

Ce n'est pas tous les jours que je suis amené à faire l'apologie du marxisme -je pense surtout aux applications qui en ont été faîtes-, mais là, chapeau. Ce sont des paroles de visionnaire. En relisant ces lignes, je ne peux m'empêcher de faire le rapport avec le rôle joué par les associations caritatives pratiquement toutes infiltrées (en Europe) par les églises chrétiennes, et qui par charité évitent au peuple de réclamer justice, je pense aussi à la doctrine sociale réactionnaire de l'Eglise, et bien sûr à la bêtise islamiste élevée, grâce à la complicité des gauches en Occident, au rang de religion respectable. Je vous renvoie aux propos de madame Buffet (communiste ?) qui, à propos du barbu polygame et des poursuites engagées, accusait le gouvernement d'opération politicienne, et souhaitait que les musulmans de France puissent pratiquer leur culte en paix.

 

§

24/11/2009

Quand les extrêmes se rencontrent

 

 « ...Cette Europe-continent entend bien sûr redevenir maîtresse de ses destinées. C'est pourquoi elle mettra fin à toute prosternation devant les oukases de l'impérialisme américano-sioniste. Dès lors l'Europe quittera résolument l'OTAN et mettra un terme à son soutien inconditionnel à l'Entité Sioniste. Elle établira elle-même ses alliances éventuelles et décidera souverainement qui sont ses amis et ses ennemis. Elle prendra une direction résolument anti-impérialiste et recherchera avec les autres civilisations à établir des relations justes et saines.

Mettant fin au règne de l'argent-dieu, et par conséquent à celui du capitalisme et à son libre échangisme planétaire... »

 

Qui a bien pu écrire cela ?

 

Marchais ? Besancenot ? Laguillier ? Bové ? Ramadan ? Aounit ? Ahmedinejad ?

 

Non. Vous pourrez lire ces lignes sur le site des Intransigeants, un mouvement catholique traditionaliste que vous trouverez tout au bout du bout du bout de...l'extrême droite. Comme quoi les extrêmes -qu'ils soient politiques ou religieux-  finissent toujours par se rencontrer.

 

§